You're inevitable ~ Poppy

Il est crevé. Et ce n’est pas d’avoir trop bu le soir d’avant, ou d’avoir fait la fête jusqu’au petit matin. Non, c’est simplement que le divan dans lequel il dort actuellement est aussi confortable qu’une grille d’aération dans la rue. Mais quand on squatte chez les gens, on ne fait pas son difficile et surtout, on fait un peu preuve de gratitude. En temps normal, il s’en foutrait royalement et dirais à son pote avoir trouvé autre chose qui serait alors plus proche du lieu où il vend sa marchandise. Le seul hic, c’est qu’il ne peut pas trop se permettre de faire chier son monde. Après tout, il tente d’éviter quelqu’un. D’activement l’éviter au point de ne plus avoir mis les pieds dans les coins où il traine d’habitude depuis sa sortie de taule. Quelques mois déjà, ça va vite, mais c’est très long quand il faut trouver de nouveaux coins où vendre de la drogue tout en évitant les flics. Retourner en taule ne lui dit rien. Raison pour laquelle il se retrouve aujourd’hui près d’un bar dans le quartier de Smithfield. Il a failli se faire prendre hier en pleine transaction par la police, alors il préfère revenir vers ce quartier dont il a plus l’habitude. Le quartier qu’il connaît sur le bout des doigts, c’est celui de Temple Bar. Mais les chances d’y croiser une certaine blondinette sont trop grandes, alors il préfère ne pas s’y aventurer. Il y retournera peut-être dans six mois, quand elle aura eu le temps d’être tellement furieuse que le voir ne lui donnera que l’envie de l’ignorer et de continuer son chemin. Un plan presque parfait, encore faut-il croire que ça pourrait fonctionner.

L’espoir fait vivre, non ? Puis en parlant de vivre, il doit bien gagner sa vie comme il peut. La prison lui aura au moins permis de ne plus consommer de la drogue, bien qu’une rechute n’est pas à exclure quand on en manipule tous les jours. Il arrive cependant à faire ses petites affaires, avec des jeunes suffisamment alcoolisés pour même pouvoir en tirer quelques billets de plus que prévu. Il y assez de monde dans le bar pour que personne ne remarque la transaction. Et Neil n’a aucune raison de rester là une fois qu’il a vendu ce qu’il avait en poche, il n’a jamais aimé se retrouver au sein d’une foule. Sans trop faire gaffe, il se détourne de son dernier client pour se diriger vers la sortie, n’ayant pas jugé bon de surveiller ses alentours. Pas besoin de se méfier de la présence de flics dans un bar aussi fréquenté un vendredi soir. Mais ce n’est pas les représentants de l’ordre dont il aurait dû se méfier. Devant lui se trouve nulle autre que la dite blondinette qu’il a réussi à éviter depuis quelques mois déjà. « Et merde… » Pas besoin de faire semblant et de prétendre qu’il ne l’évitait pas, si Pops a déjà l’air contrarié, voire même furieuse, il ne vaut mieux pas jouer à ce jeu-là. Neil se demande vaguement s’il va se prendre un poing dans la figure, sachant qu’il le mérite amplement. Et pourtant, avec nonchalance, il enfuit ses mains dans ses poches et lui adresse un sourire en coin. « Hiya Pop’s, ça fait un bail. » Si son ton se veut indifférent, c’est principalement pour cacher son incertitude. Il ne sait pas à quel point elle est en colère, mais il est sûr d’une chose, c’est qu’elle n’était pas censée lui tomber dessus.

Et merde… C’est le moins qu’il puisse dire. Éviter Pop’s n’a pas été chose facile. Elle est sans nul doute la personne à qui il tient le plus au jour d’aujourd’hui. C’est un spécialiste des conneries, mais pour elle, il en ferait bien plus. Et rester loin d’elle a été difficile car il se souvient encore, les premières semaines en prison, s’être dit qu’il lui devait bien des excuses. Personne avant elle n’avait vraiment essayé de l’aider, encore moins de l’aider à trouver un job pour revenir plus au moins sur le droit chemin. Enfin, on s’entend, un peu plus sur le droit chemin. Si ce n’était pas pour Poppy, il se pourrait bien qu’il aurait déjà finit au fond d’une tombe commune depuis quelques années. Et pourtant, il tente tant bien que mal de ne pas montrer qu’il s’en veut de l’avoir ainsi laissé sans nouvelles.

Résultat, il l’a bien mérité ce coup de poing, même s’il doit se mordre la langue pour ne pas laisser s’échapper un gémissement de douleur. D’accord, elle est bel et bien furax, génial ! Et vu la tournure de sa phrase, ce n’est pas finit. Heureusement, il sait prendre des coups et sait quand il mérite de les prendre. Même si, lorsqu’il s’en prend un en pleine figure, il doit se retenir de riposter. Un reflexe qu’il n’a pas, d’habitude. Même si c’est une femme en face, il n’a pas peur de se défendre ou même de mettre le premier coup.  Sauf que c’est Pop’s, et qu’il préférait encore se couper la main que lui faire du mal. Foutu instinct protecteur qu’elle a réussi à faire remonter en lui.

Grimaçant de douleur, il lui lance un regard placide, évitant de montrer à quel point ça l’agace quand elle tape d’abord, et parle ensuite. Même s’il s’attendait honnêtement à perdre une dent, donc c’est qu’il y a quand même du progrès. « Je suis désolé. » C’est sincère, il n’a jamais voulu qu’elle s’inquiète même si malgré tout, il a fait le choix que ça arrive. Néanmoins s’il ne tient pas forcément à lui dire ce qui l’a poussé à prendre telle décision, rien ne l’empêche de s’excuser. C’est même la moindre des choses, en théorie. « J’ai merdé, Pop’s. J’ai merdé et t’aurais pu avoir des ennuis. Alors quand j’suis sorti de taule, j’me suis dit qu’il fallait mieux qu’on se voit plus. » C’est maigre comme explication, et juste au cas où, Neill se prépare à intercepter le prochain coup de poing de la furie mieux connu sous le nom de Poppy. Ils n'ont vraiment pas besoin que des gens qui passent à côté d'eux décident d'appeler les flics.

L’univers doit le détester. Non sérieusement, il y a tant de choses dans sa vie qui vont mal, ont toujours mal été d’ailleurs, mais en plus quand il prend une bonne décision, elle lui revient en plein la gueule. Littéralement, pour le coup. Trouver une meilleure excuse n’est pas impossible, mais ça reviendrait à vraiment lui mentir. Et Neill peut être bien des choses, mais il ne ment que rarement aux quelques personnes à qui il tient. C’est un défaut de fabrication, sérieusement, en ce qui le concerne ça ne l’aide absolument pas. Mais quand il s’excuse, ça semble d’avantage énerver son interlocutrice. « J’avais mes raisons… » Raisons qu’il ne tarde pas à lui donner. Et bon, techniquement, il ne lui ment pas vraiment. Il a bel et bien merdé, sauf qu’elle s’imagine peut-être qu’il a des ennuis avec quelqu’un, ou une organisation, et que c’est justement le but. La seule personne envers qui il a merdé, c’est elle. Lui-même ? Aussi, mais lui il s’en fout complètement. Poppy, c’est une autre histoire. Ça a toujours été ainsi.

Il y a cependant une grande différence entre de la colère et de la déception. Bien que la petite blondinette en face de lui est toujours furieuse, ça se lit dans son regard, ses paroles en disent tout aussi long. Et bien malgré lui, Neill mord à l’hameçon. « Merde, non, ce n’est pas ce que j’ai dit, ni ce que j’ai pensé ! » Elle est bien plus qu’il ne l’admettra, même à elle, même à lui-même. Dire qu’une simple amitié les lie est tout aussi un mensonge que de prétendre qu’il a eu facile à rester loin d’elle. C’est peut-être elle, sa drogue, finalement. Il passe une main dans ses cheveux, lance un regard noir à un passant bien trop intéressé par la conversation des deux jeunes gens. Neill n’aime pas vraiment se donner en spectacle, tout comme il n’aime pas être entouré de trop de gens. Mais quand son regard croise une nouvelle fois celui de Poppy, il y siège une lueur plus déterminée. « Ce n’est pas une question de ce que tu veux ou non ! Je ne veux pas que t’aies des emmerdes, tu ne mérites pas ça Pops, t’as essayé de m’aider, j’ai merdé. C’est simple, je vais finir ma vie en taule et toi, tu mérites un pote qui ne te laisse pas tomber à la première emmerde. » Un pote, plus, peu importe, dans les deux cas il est bien vrai qu’il se plierait en quatre pour aider Poppy, peu importe dans quels ennuis il a été se fourrer. Et pourtant, en théorie, il sait que rester loin d’elle est la meilleure chose qu’il puisse faire, pour elle. Billie serait certainement du même avis que lui.

Il sait qu’il a sans doute foutu en l’air la seule relation stable qu’il n’ait jamais eu. Qu’il s’agisse d’amitié ou plus que ça, peu importe. Est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? Non, pas du tout. Vouloir protéger Poppy d’un danger tiers est une chose, mais de ses propres conneries ? Pourtant il y a bien réfléchi, il sait à quel point il y a quelque chose qui cloche chez lui car il est incapable de vivre la petite vie tranquille que beaucoup semblent capable de créer. Il n’est pas fait pour travailler plus de trente heures par semaine pour un salaire de misère. Même s’il ne prend plus de drogues actuellement, ce qui consistait un gros budget, ça n’en resterait pas moins travailler pour trois sous. Neill n’est pas si courageux, Neill sait se l’avouer. Poppy a essayé de l’aider, lui a même trouvé un job. Pour une fois, on lui a non seulement tendu la main mais il a aussi accepté qu’on le fasse. Et il a essayé, vraiment essayé. Jusqu’à ce qu’il ait l’esprit trop clair, qu’il ait besoin d’une échappatoire et que la drogue soit plus importante qu’une vie plus honnête.

« Je vis de quoi, si j’arrête de la vendre ? J’suis pas fait pour avoir un job et y aller tous les jours. » Ouais, fin, c’est ce qu’il fait pour la drogue, car chaque jour de la semaine il en vend par-ci, par-là. Mais ça rapporte quand même plus d’argent que le reste. « Nan, t’es clairement pas Cendrillon, son crochet du droit fait moins mal. » Pas le moment de faire de l’humour ? Oh, et puis zut. Elle va lui en vouloir un bon moment, autant qu’il s’y fasse. Il la suit jusqu’au bar d’à côté et s’installe à son tour, se penchant légèrement en avant. « Imagine deux secondes, t’es en train de couler et tu peux soit me sauver, soit me laisser le choix de couler avec toi ? Ne tente pas de me faire croire que tu ne ferais pas le même choix que moi. J’veux te protéger parce que je tiens à toi et que tu mérites pas ça, alors ouais, ce n’est pas ton choix mais si je te laisse choisir, on va couler ensemble. » Les métaphores, c’est pas son truc. Il n’aime pas ça, même si ça peut refléter une situation par une autre.

Toutefois, lui qui est très peu tactile n’a aucun mal à l’être avec Poppy, preuve en est, il prend sa main dans la sienne et serre légèrement. « J’suis vraiment désolé, j’ai été con, je recommencerais plus.. » Ses derniers mots sonnent presque comme une question, car pour ne pas recommencer il faut encore qu’elle ne l’envoie pas sur les roses. De toute façon, même si c’est ce qu’une partie de lui veut pour son propre bien, une autre partie en lui serait prêt à l’emmerder jusqu’à ce qu’elle le pardonne. Elle lui a manqué, la revoir, là devant lui, c’est se rappeler à quel point ne pas la voir a été un véritable supplice. Elle fait partie intégrante de sa vie et il a été con de penser qu’il pourrait se passer d’elle.

Il n’a rien à lui répondre, car elle n’a pas tort. Poppy a rarement tort quand elle lui dit ses quatre vérités. S’il ne s’obstinait pas tant à vendre de la drogue, il n’aurait pas d’emmerder, ne devrait prendre telle décision. Il le sait, mieux qu’elle ne semble l’imaginer. Il a eu quelques mois pour se faire la réflexion, mais aussi pour comprendre que jamais il ne ferait partie de ces gens honnêtes qui travaillent pour le moindre centime. Il n’en est pas capable, n’en a pas la volonté. Parfois, il veut s’échapper et prendre de la drogue, parfois, c’est sous un camion qu’il se voit. Quand ses idées deviennent trop sombres, il préfère toujours partir planer ailleurs, dans un autre univers, même si c’est uniquement imaginé et non réel.

Un rictus amusé vient se peindre sur ses lèvres en entendant Poppy lui sortir cette phrase culte, qu’ils se sont répétés plus d’une fois au long de leur amitié. « Ouais, j’aimerais éviter la mort, tu vois. » Il n’est plus très sérieux, parce qu’ils savent tous les deux qu’au fond, c’est véritablement à la vie à la mort, et qu’il n’y a aucune échappatoire à cela. « On a les même valeurs Pops, on s’y prend juste différemment. » C’est la vérité, lui aussi n’hésiterait pas à se laisser couler pour elle, il se noierai sans la moindre opposition si c’était pour lui sauver la vie. Et c’est grave, comme on peut être prêt à tant de choses, tant de sacrifices pour une personne mais à ne toujours pas vouloir s’avouer l’aimer plus que tout. Car il sait qu’il l’aime, Poppy. Depuis leur première rencontre, il a su qu’il allait l’aimer. Il ne souhaite juste pas assumer à quel point cet amour est profond, différent de celui qu’il ressent pour d’autres amies et amis. Et c’est peut-être plus simple comme ça, car quand elle vient lui embrasser le front, il n’y a pas une cellule dans son corps qui ne se retrouve pas mitigé. Une partie de lui veut s’éloigner de tout contacte, comme il en a si bien l’habitude. Une autre, celle qui finalement gagne ce combat, souhaite le prolonger car c’est Poppy. C’est inexplicable et un effet qu’elle seule peut provoquer chez lui. Alors avant qu’elle ne puisse retourner s’asseoir, il l’attire davantage vers lui, l’obligeant à s’asseoir sur lui. Passant ses bras autour de sa taille, il enfui son visage dans le creux de son cou et la serre dans ses bras. Elle lui a tellement manqué, ce depuis qu’il s’est fait emmener par les flics ce jour-là à l’appartement. « Je jure solennellement que je ne recommencerais plus. » Oui, il a vu Harry Potter, et s’il a retenu ce début de phrase, c’est uniquement pour un jour la sortir à Poppy, voilà donc chose faite.

L’intense regard noir de Poppy le fit presque sourire. Il a peut-être un peu peur de sa droite, mais il n’a jamais eu peur d’elle. Ça l’amuse, autant qu’il ressent une pointe de tendresse envers sa petite blonde qui le menace de mort s’il en venait à oublier ladite promesse. « Oui m’dame. » lui rétorque-t-il sérieusement. Ça n’a jamais été son but de ne pas tenir sa part de cette promesse, même s’il s’y est prit de la mauvaise façon. Ou la bonne, pour lui c’est clairement la bonne, éloigner Poppy de ses emmerdes et s’assurer qu’elle n’en ait jamais plus à cause de lui. Clairement, la principale concernée s’en fout d’avoir des ennuis, tant qu’il ne disparaît pas à nouveau dans la nature. Et il sait qu’elle serait prête à vraiment le trucider s’il se devait de recommencer. « J’vais y travailler et ne plus jamais prendre une décision pareille. T’façon sans toi la vie est moins drôle. » Pfou, véritable confession, il va falloir qu’il s’arrête là, ne pas la voir pendant plusieurs mois à vraisemblablement un drôle d’effet sur lui, qui d’habitude, est bien moins prompt à dire ce qu’il pense.

Mais la colère de Poppy enfin dissipée, il en profite pour la serrer contre lui. Elle lui a manqué, merde, tant pis si le petit couple de vieux deux tables plus loin leur lance un regard noir. Il rit lui aussi quand elle lui demande s’il s’est cru dans Harry Potter. Non, mais il sait qu’elle adore les films alors il en profite pour encore un peu plus apaiser la situation. « Non, mais ça a marché, t’es plus fâchée. » dit-il sur un ton amusé, parce qu’il sait qu’elle l’est encore un peu, au fond, mais qu’elle va lui pardonner. Tout comme il lui pardonnerait tout, sans jamais se poser de questions. Peut-être qu’il devrait se faire à l’évidence, peut-être, non, il sait qu’ils sont faits l’un pour l’autre. Et le savoir est suffisant, pour l’instant. « Si j’oublie un jour encore, tu pourrais me tuer. J’suis sûre que Billie t’aidera à enterrer mon corps, donc tu vois, j’ai tout prévu pour toi. » Non pas qu’il sait ce que Billie fait comme boulot, enfin, celui-là en tout cas, mais il est certain que les sœurs O’Mara n’hésiteraient pas à enterrer un corps si l’une d’elle devait avoir fait pareille connerie. Resserrant sa propre étreinte, Neill décide qu’il est bien là, avec sa Poppy dans les bras.

Il a vraiment été le plus grand des cons, c'est officiel, il est con. Ils ne peuvent cependant pas rester comme ça toute l’après-midi, alors il se détache légèrement d’elle mais la garde bien ou elle est. L’idée de devoir s’éloigner de la jeune femme lui est soudainement inimaginable. « Alors raconte moi ce que j’ai manqué ces derniers mois ? Aylin fait pas trop de conneries au moins ? » C’est plus fort que lui, mais la plus jeune des O’Mara lui rappelle ses sœurs, qu’il espère sont elles aussi sur le droit chemin.